Les paysages agricoles : un patrimoine esthétique et environnemental

L’agriculture façonne les paysages et forge l’identité des territoires à travers une multitude de productions qui soulignent la topographie, révèlent les qualités des sols, abritent la faune sauvage et mettent en valeur les savoir-faire paysans. Un patrimoine auquel les agriculteurs céréaliers contribuent pleinement.

  • En France, les surfaces dédiées à l’agriculture (SAU) représentent 54 % du territoire métropolitain, dont près d'un quart est couvert par des champs de céréales. Si l’on y ajoute les bois, forêts et terres non cultivées, ces espaces de ruralité couvrent plus de 80 % du sol. À travers les lignes qu’il dessine et les productions qu’il offre, l’espace rural est porteur de valeurs fortes : qualité de vie, qualité de l’alimentation, abondance et sécurisation des approvisionnements alimentaires, biodiversité…

  • Pour une nation comme le France où la gastronomie est une spécificité culturelle profondément ancrée, le lien entre paysage et alimentation est l’un des piliers des représentations du monde agricole. Comme le souligne le géographe Gilles Fumey, professeur à l’Université Paris-Sorbonne, « la table donne souvent à boire et à manger des paysages. Sur les étiquettes de grands vins figurent des représentations stylisées de vignobles, de murs enclos avec la silhouette d’un clocher, d’une demeure bourgeoise… Sur les emballages de fromages, gâteaux, confiseries et autres produits locaux, le paysage est utilisé comme support de communication entre celui qui produit l’aliment et celui qui le mange. » C’est ainsi que les paysages entrent dans « la composition symbolique des produits alimentaires » dont l’origine géographique est, elle-même, perçue par le consommateur comme « l’une des meilleures certifications de qualité. »1

    1. Gilles Fumey, « Paysages à boire et à manger », Carnets du paysage, Actes Sud, 2013

  • Comme l’ensemble des activités agricoles, les grandes cultures contribuent à la qualité et à la diversité des paysages et, par conséquent, à l’attractivité culturelle et touristique de la France. Bien que les dernières décennies aient été marquées par une diminution du nombre de parcelles cultivées et par une augmentation de la surface des parcelles, celles-ci restent à l’échelle humaine. Ainsi, comparée aux autres nations agricoles où les grandes cultures jouent un rôle important, la France offre une mosaïque paysagère riche, variée et changeante au fil des saisons et des cultures.


    Ⓒ Franck Caillet

    Au niveau territorial, les activités agricoles ne se limitent pas à la valorisation des paysages et des sols : elles sont souvent le premier levier de la vie économique et sociale. Au plan démographique, elles fixent une population active minimale – ce qui permet en premier lieu de maintenir les services

    Au plan économique, elles irriguent le tissu local des entreprises, sachant que les cultures céréalières génèrent à elles seules 440 000 emplois directs et indirects, non délocalisables. Un réservoir d’emploi en milieu rural auquel s’ajoutent les quelques 180 000 emplois créés par le tourisme et les services locaux. Enfin, l’agriculture et tout particulièrement les cultures céréalières jouent un rôle moteur dans « l’économie verte » qui permettra d’apporter des réponses aux défis majeurs du 21e siècle.

  • Depuis plusieurs années, les haies ont refait leur apparition dans les zones de culture, et les systèmes culturaux, eux-mêmes, font l’objet d’optimisations systématiques ayant un impact positif aux plans environnemental et paysager. La rotation culturale, qui consiste à changer chaque année la plante cultivée dans un champ, en est un exemple. Tout en animant le paysage, cette technique permet de ralentir le développement des mauvaises herbes et de réduire l’utilisation des produits de traitement. Autre exemple, les cultures intermédiaires, qui couvrent les sols pendant les périodes d’interculture, contribuent à rompre la monotonie du paysage hivernal tout en aidant à fixer les nitrates là où elles sont utiles, autrement dit dans la terre.

    Des aménagements paysagers pour accompagner l'évolution de l'agriculture

    Des aménagements paysagers spécifiques, conçus à l’origine pour limiter le ruissellement des eaux et le transfert des substances phytosanitaires vers les eaux souterraines, se sont également révélés être de précieux auxiliaires paysagers. L’une des solutions consiste à mettre en place de larges bandes enherbées qui servent de zone tampon en bordure des parcelles et le long des cours d’eau.

    Au-delà de leur fonction de zone de passage, les bords de champs sont des réserves naturelles qui font l’objet de soins attentifs. Véritables écosystèmes, ces espaces enherbés abritent des insectes mangeurs de parasites très utiles aux agriculteurs (scarabées, coccinelles, chrysopes…). Ils accueillent également la faune sauvage (lièvres, faisans…) et contribuent au repeuplement de certaines espèces comme l’alouette ou la perdrix. Au printemps ils abritent la nidification, en été ils fournissent une nourriture abondante et protègent les poussins des prédateurs, en hiver ils forment un site d’hivernage privilégié.
     

    Une bande enherbée entre une parcelle de maïs et un bois
    Une bande enherbée entre une parcelle de maïs et un bois | Ⓒ Bernard Minier

    Agriculteur céréalier implanté dans le Loiret, Jacques Mercier a été l’un des pionniers dans ce domaine. « J’ai commencé à implanter des haies et des bandes enherbées en 1997, se souvient-il. Aujourd’hui, les aménagements paysagers couvrent 5,5 hectares (pour une exploitation de 271 ha) et les haies se déploient sur plus de 7 000 mètres linéaires. » Témoignant d’un engagement exemplaire, cet agriculteur a notamment installé une bande de 12 m de large en plein milieu d’une parcelle de 50 ha, « pour animer la perspective du plateau qui est très blanc et offrir un refuge aux oiseaux poursuivis par les busards ».

    Encouragées par les dispositions relatives aux « Surfaces en éléments topographiques » (SET) mises en place au niveau européen2, les pratiques orientées vers la dimension paysagère se généralisent aujourd’hui rapidement au sein du monde agricole. 

    2. Créées en 2010, les SET sont obligatoires pour les exploitations de plus de 15 ha et visent différents aménagements : haies, bosquets, lisières de bois, cours d’eau, mares, fossés, bandes tampons, jachères…